vendredi 2 août 2013

Vermont 100 - une deuxième conquête difficile

Dans chaque nouvelle épreuve d’endurance où on se dépasse, on passe à travers plusieurs états d’esprit, y compris qu’on ne la refera plus… n’est-ce pas ?   En juillet 2012, quand j’avais complété le Vermont 100 en 21h22, mon premier 100 milles, j’étais très fier à l’arrivée et je me disais aussi que de l’avoir complété une fois, c’était bien suffisant, allez basta revenons à des défis plus humains ! … Et puis déjà quelques heures plus tard, pendant le brunch et la remise des prix, en fraternisant avec les amis coureurs et en remarquant les nombreux récidivistes, eh bien les mauvaises pensées s’étaient quasiment volatilisées et je pensais à refaire cette course l’année suivante! 

Cette envie s’est confirmée dans les mois suivants, alors je n’ai pas manqué ma chance à l’ouverture des inscriptions en ligne, le premier décembre 2012, pour faire partie des 350 heureux élus.   D’ailleurs plusieurs de mes amis coureurs québécois se sont inscrits comme moi, nous étions une bonne quinzaine.  Toutes les places étaient prises en quelques jours.  Il faut dire que cette course a un charme particulier, avec son décor, son relief, son organisation hors pair, ses 29 ravitaillements, son histoire incluant la course équestre côtoyant la course humaine, et l’hospitalité toute vermontoise.


                                                 Charmant profil d'élévation, n'est-il pas?
                                           Les 29 points bleus représentent les ravitaillements.


De octobre jusqu’à juin, j’ai gardé une solide cadence en entrainement et un calendrier riche en événements organisés: un marathon au Vermont en octobre (GMAA, dans mes classiques), deux marathons intérieurs en janvier, deux demi-marathons en avril et mai, le 50 milles de Bear Mountain en mai, et en juin un beau bouquet : le Xtrail 22km de Sutton, une super excursion dans les montagnes blanches du New Hampshire (Pemi-Loop 51km), la course sur route MRSQ de 50km et le super-bouetteux UltimateXC 58km.  Que du plaisir , et pas de bobo, toujours aussi chanceux!  Tout cela m’a donné de la confiance et la progression souhaitée pour culminer avec cette épreuve maîtresse, en plein cœur de l’été. 

J’ai aussi investi dans les services d’un entraineur à partir de novembre, l’excellent Dorys Langlois, qui m’a ouvert de bons développements en quelques mois.  Avec des entrainements de groupe structurés les mardis et vendredis et un plan d’entrainement personnalisé, j’ai assimilé plusieurs concepts de base, corrigé de petits défauts de posture, profité de l’effet inspirant d’excellents coureurs.  J’ai aussi établi ma VMA (vitesse maximale aérobie, étalon pour se fixer des objectifs réalistes à chaque distance) et développé ma vitesse en séances d’intervalles très bien structurées, ce qui m’a entre autres ouvert de nouveaux niveaux de performance, comme un record personnel au demi-marathon des érables (fin avril), en 1h27.

La préparation

Deux semaines avant la course je me suis procuré de nouvelles chaussures de course tout terrain: les Saucony Peregrine 3.  À l’essai je les ai tout de suite adorées, alors j’ai décidé que je les porterais le plus longtemps possible pendant le Vermont 100.

Une des leçons apprises au Vermont 100 de l’an passé, c’est de me procurer des guêtres légères pour réduire la poussière qui s’infiltre dans les pieds, et pour réduire les risques de débris qui peuvent s’insérer dans les chaussures et causer des frottements et autres désagréments.  Après un peu de magasinage, ce sont clairement les ‘Dirty Girls’ qui seraient le modèle de prédilection, mais je m’y suis pris trop tard pour en commander sur l’internet et on ne les trouve pas en magasin au Canada.  En m’informant sur la page facebook de la course, une gentille coureuse du New Hampshire m’a gracieusement offert de me prêter une paire de ‘Dirty Girls’.  Chouette, merci Larisa !   Et vous allez voir que Larisa est une redoutable ultra marathonienne, je vous en reparle tantôt.

Dans les jours précédant le départ, je me prépare un gâteau aux dattes hmmm;  celui-ci me fait du bien mentalement autant que physiquement.  C’est pour moi un élément rassurant (et délicieux, merci maman pour ta recette) qui aide à me sentir en contrôle de ma préparation et fait descendre le stress.

Pour la préparation mentale, j’ai visualisé plusieurs fois ce loooong défi côteux, dont le parcours m’était resté encore assez frais de mon expérience 2012.  Je savais aussi que j’avais oublié bien de choses, et qu’il me fallait aborder l’épreuve avec beaucoup de respect et d’humilité.

Enfin, je compose mon équipe de soutien avec mon épouse Line et mes parents Nicole et Guy -- qui étaient tous trois de la partie l’an passé aussi.  Ils seront aux mêmes ravitaillements que l’an passé, soit aux milles 30, 48, 70 et 89.  Pourquoi changer un bon plan, avec de si bons alliés ?  Par contre, je choisis de ne pas demander de coureur d’accompagnement, en me disant que je courrai plusieurs segments avec d’autres coureurs, et d’autres solo -- y compris les derniers milles s’il le faut.   Ça laisse une place au hasard, et ça me va très bien.

Le jour ‘V moins 1’

Départ de la maison le vendredi vers 10h30, le poste douanier de Philipsburg est déjà pas mal occupé à 11h30, avec les vacances de la construction qui commencent.

Line et moi arrivons au site le vendredi vers 15h30, juste à temps pour la collecte du dossard, et la prise de mon poids référence, et pour ne pas manquer la réunion des coureurs de 16h.  Je retrouve ici la formidable équipe d’organisateurs et bénévoles de cette course, je les trouve tous dévoués et épatants : la directrice Julia, son frère enjoué, costaud et d’une énergie sans borne, l’équipe médicale expérimentée, et les autres sympathiques responsables.  Leur passion est contagieuse !

Retrouvaille des copains sous la grande tente, l'ambiance est pétillante: Benoit B. et Martin C., Pat G., Denis L., Patrick B., Daniel G., Vincent G., Vincent F., Vincent Machin-Truc, Louis A., Patrick H., Louis A., Michel C., Marie-Pier, et de nombreux autres coureurs et accompagnateurs enjoués et passionnants avec qui j’ai fait connaissance pendant la fin de semaine, comme Sébastien, Gary et Kate.

Pendant la réunion des coureurs, nous sommes bien avertis de la chaleur et de l’humidité avec lesquels nous devrons composer.  C’est définitivement la difficulté supplémentaire, qui m’a déjà fait réviser mes objectifs : d’abord terminer sans bobo, pas épuisé (le plus important), et ensuite essayer d'égaler ou améliorer un petit peu mon temps de l’an passé de 21h22 (et non pas retrancher 1 heure ou plus, comme je visais initialement).

Line me donne un beau coup de main avec le montage de la tente où je dormirai quelques heures la nuit prochaine, juste en haut du terrain des départs et arrivées.

Soirée calme près des tentes, avec Michel C. et Pat G., agrémentée d’un spectacle céleste assez spécial : ciel dégagé à la brunante, avec un beau gros nuage à l’horizon, chargé et multipliant les éclairs de chaleur.   À 10h je me couche et cherche le sommeil … pour ne le trouver que durant une heure, entre minuit 30 et 1h30 ! Il faut dire que nous avons droit à un fameux spectacle sons et lumières dans nos tentes entre 11h et minuit, avec l’orage qui s’est amené vers nous.  Drôle de party!  Mais bon rien de paniquant, ça me donne mon habituelle nuit courte, avec l’adrénaline pré-course présente malgré moi.
Je me lève vers 2h30, m’habille pour la course et mange un morceau de gâteau aux dattes et un muffin aux bananes (gracieuseté de ma fille Alice).

Le départ et le premier tiers

Rendez-vous pré-départ sous la grande tente vers 3h00, avec café et bagels.  Bon choix musical en sourdine, et beaucoup de papillons dans le ventre parmi les amis présents.  Mais je n'ai jamais réussi à rencontrer Larisa pour le prêt des guêtres... je ferai sans.  À 3h45 chic! je retrouve Larisa et son copain Rob, et Rob est assez gentil pour aller me chercher les guêtres ‘Dirty Girls’ et m’aider à les poser à mes souliers, dix minutes avant le départ (!).  Quelle classe ces guêtres, avec motif de têtes de mort, héhé.  Je les remercie, m’approche du départ et peut voir la fin des feux d’artifice offerts aux participants en l’honneur du 25ième anniversaire de la course.



Le départ est donné à 4h avec un peu d’excitation bien sûr, et je pars solo, faisant quelques connaissances dans les premiers deux kilomètres et retrouvant par chance Larisa dans un partie en sentiers, ce qui me permet de faire un peu plus connaissance.  Nous avions tous deux terminé l’an passé, et elle était arrivée 29 minutes devant moi.

Les 10 kilomètres suivants, je les cours avec Benoit et Martin et ils se déroulent fort agréablement, à un bon rythme (5:30/km je dirais).  Au deuxième ravitaillement, je mange un peu, fais un petit pipi et puis repars sans attendre mes deux compères encore occupés, et croyant vraiment qu’ils me rejoindront rapidement.

Je garde ensuite mon allure relativement rapide, ce qui est fort téméraire dans une course de ce type.  Les risques de ‘payer pour’ plus loin, d’une façon ou d’un autre, augmentent… allez, on verra.   Je côtoie plusieurs forts coureurs et coureuses (dont Larisa) en me demandant si je suis là où je devrais être.



Quand j’arrive au ravitaillement de Stage Road à 9h01, je suis en dix-neuvième place.  J’ai parcouru 30 milles (50km) en 5 heures, incluant déjà beaucoup de dénivelés, c'est 20 minutes de moins que l'an passé et je sais très bien que je ne pourrai soutenir ce rythme infernal beaucoup plus longtemps, mais je ne me doute pas de ce qui sera la conséquence dans les milles à venir.




À chaque ravitaillement, je remplis ma bouteille d’eau en la garnissant de plusieurs glaçons (disponibles aussi bien dans les ravitos avec bénévoles que ceux sans aide).  Je bois typiquement la moitié et j’utilise l’autre moitié pour me rafraîchir la tête, en me douchant par la casquette.  Et puis je bois aussi du Gatorade de ma gourde sac à dos.  Je mange les fruits offerts, surtout les oranges et melons.  Je crois donc m’hydrater suffisamment.  Et pourtant…



Je repars dans les sentiers très boueux et en montée ; maintenant mes pieds vont rester beaucoup plus mouillés, ce qui est propice aux ampoules...

La muraille de Chine

À partir du ravito de 38 milles, je faiblis de façon très nette.  Je ressens une grosse perte d’énergie, je marche beaucoup, j’ai même des étourdissements et je me fais dépasser par plusieurs coureurs.  Pendant les 10 milles suivants, je vais devoir traverser le plus grand mur en situation de course de toute mon expérience en endurance. 

Je m’accroche à certaines pensées positives, mais j’essaie aussi de comprendre ce qui m’arrive, sans pouvoir mettre le doigt dessus.  Je pense plusieurs fois que je vais devoir abandonner avant la mi-course, je ne vois vraiment pas ce qui m’arrive, comment corriger le tir et comment parcourir la deuxième moitié de la course dans de telles conditions.  D’autre part, le soleil est bien haut dans le ciel, la chaleur culmine avec le fort taux d’humidité et je sue beaucoup.  Je crois boire suffisamment, mais je saurai bientôt que ce n’étais pas suffisant… et que j’ai négligé les électrolytes.


                                  Arrivée à Camp Ten Bear et pesée: là je ne souris plus du tout...

En arrivant enfin au grand ravitaillement de Camp Ten Bear à 47,6 milles, je salue rapidement mon équipe et me dirige immédiatement à la pesée obligatoire : horreur et stupéfaction, je suis à 161 livres (73 kg), soit 5% de perte de masse corporelle depuis ma pesée de référence de la veille à 169 livres (76,6 kg) !!!  Voilà donc l’explication à mes malaises des 10 milles précédents.  J’ai poussé trop fort, et avec la chaleur montante j’ai perdu beaucoup, beaucoup d’eau et de minéraux sans réaliser à quel point.  Quasiment une erreur de débutant.

Le directeur médical me fait asseoir et me pose quelques questions pour sonder mon état physique et mental, et pour me donner les bons conseils : un peu de repos assis avec hydratation, électrolytes, alimentation, et je pourrai repartir après 15 minutes.


                                            L'équipe médicale m'aide à retrouver le sourire!

Line et mes parents me parlent et s’inquiètent pour moi.  Ils ne savent s’ils doivent m’encourager à repartir et surmonter mes difficultés, ou bien me conseiller d'arrêter...  Moi je décide de faire confiance au directeur médical.  Il a beaucoup d'expérience, il en a vu d'autres et il sait que mon problème est passager.  Il a senti que je trouverais de nouvelles ressources.

Vincent Machin-Truc, qui est un excellent coureur et est présent en soutien à d’autres coureurs québécois, me parle de sa recette pour les électrolytes : une pastille de sel (Salties, ou S!Caps) par demi-heure avec de l’eau, dicté par la sonnerie de sa montre pour rester discipliné.  Je ne programme pas ma montre, mais je vais m’en inspirer pour le reste de ma course, en faisant bonne provision des S!Caps fournies aux ravitos.

Rémission

Je me relève; allez Pierre il ne faut pas rater la chance de courir avec mes amis Benoit, Martin, et Louis qui m’ont maintenant rejoint et sont prêts à repartir.  Mon équipe me souhaite bonne chance, en se demandant s’ils font bien de me laisser repartir!

Dans le mille suivant, les fortes côtes reviennent vite et je ne peux même pas suivre la cadence de marche rapide de Benoit et Martin.  Je m’accroche à Louis -- un ultra marathonien épatant et excellent motivateur.  Mais quelques milles plus loin, encore une fois je dois laisser filer Louis devant moi parce que sa cadence de marche rapide dépasse la mienne, encore anémique. 

C’est dans les milles suivants que je me ressaisis, doucement mais sûrement.  Je rattrape d’abord Louis (que je n’avais pas perdu de vue devant moi), nous faisons plusieurs milles ensemble pour éventuellement rattraper Benoit et Martin.

Je continue à me rafraîchir régulièrement la tête avec de l'eau glacée de ma bouteille sur ma casquette, une recette qui me réussit bien avec la chaleur et l'humidité ambiantes.

Je suis ravi d’arriver au ravitaillement de Seven Sees (59,1 milles) et d’y retrouver plusieurs des amis coureurs québécois qui attendent leurs coureurs.  Ils nous aident beaucoup aussi par leur enthousiasme!  Un merci particulier à Patrick B., si généreux et positif.  

J'ai trouvé mon second souffle, mon moral est vraiment meilleur, et en bonne compagnie c'est encore bien mieux.


                                          Au ravito de Seven Sees avec mes acolytes

Nous poursuivons notre route dans les côtes, et atteignons l'incontournable et festif ravito de Margaritaville (62,1) où Martin C. se fait soigner les jambes et les pieds, et où Louis C. essaie d’apaiser de fortes irritations aux cuisses avec du Zincofax, résultant du frottement de ses shorts mouillés.  En plus, nous avons droit à un épisode de pluie.   Moi je me sens de mieux en mieux, je mange et je bois bien... et avec l’insistance de la gentille dame bénévole, je me laisse même tenter par un petit verre de margarita -- mixé en bouteille, et oui oui alcoolisé!  La bonne humeur m'envahit :))

En quittant le ravitaillement, Louis nous dit de ne pas l’attendre, vu ses fortes rougeurs et les probabilités qu’il doive abandonner sa course dans les dix prochains milles.

Quelques milles plus loin, la malchance frappe Martin : il est atteint d’un gros hoquet incontrôlable, et Benoit (qui prévoyait courir le plus longtemps possible avec Martin) s’entend avec lui pour le laisser continuer son chemin en lui souhaitant bonne chance.  À partir de là, Benoît et moi devenons compagnons de route.

Après le ravito Brown School House (65,5 milles) où je continue à enfourner les fruits, et où Benoit se laisse tenter par un peu de fudge au chocolat, nous attaquons la longue descente qui nous fait regagner vitesse et momentum jusqu’à Camp Ten Bear (deuxième passage, à 70,5 milles).

Ampoules

Dans les derniers milles avant de rallier Camp Ten Bear pour la deuxième fois, j’avais senti une drôle d’impression au deuxième orteil de mon pied droit, comme si l’ongle était prêt à se détacher.  Après la pesée obligatoire, qui me confirme que tout va bien avec un regain de poids de 2 livres (1kg), j’enlève mes souliers et mes chaussettes pour voir comment mes chers pieds tiennent le coup, et quoi faire pour qu'ils durent 30 milles de plus.

Dans l’ensemble ils vont bien, mais surprise : j’ai quelques ampoules aux orteils, chose qui ne m’était jamais arrivé encore.  Et là où j’avais une sensation plus notable, c’est une grosse ampoule qui demande une attention immédiate.  À la tente des médics (qui nous avaient bien dit de faire appel à leurs services professionnels pour le traitement des ampoules) on me soigne de la meilleure façon en perçant celle-ci avec aiguille stérilisée, en la vidant et en la soignant avec un onguent antibiotique rouge foncé, sur lequel on me rechausse directement avec de nouvelles chaussettes propres et sèches -- et sans pansement, ce qui me surprend mais on me rassure, c’est la bonne façon de faire.  Changement de chaussures et de shorts aussi (avec cuissards intégrés), une bonne idée de Line pour éviter les irritations et de nouvelles ampoules.

Ce traitement demande donc quelques minutes pendant lesquelles Benoit a la gentillesse de m’attendre pour que nous repartions ensemble.  Et malheureusement, Louis et Martin ne nous ont pas rejoints.

Nouveau souffle

Avec Benoit, c’est un vrai charme de courir.  C’est un grand coureur dans tous les sens du terme.  Il inspire, il est drôle et gentil, il rend la course plus facile.  Pour la longue distance, nous avons de bonnes affinités de cadence (et pour les distances plus courtes, il est bien plus fort que moi!).

Ma bandelette ilio-tibiale droite me fait de plus en plus mal, particulièrement dans les descentes, mais la douleur est supportable et je trouve un moyen de descendre de biais pour m’aider un peu.  Étant donné le chemin parcouru, je suis relativement content de mon état, et j’ai pleinement repris confiance dans ma capacité de finir cette course assez fort, même plus fort que l’an passé.  Je crois que ça se voit dans mon visage, Line et mes parents le sentent et en sont rassurés.

Il y a encore plusieurs reliefs à traverser, et jusqu’au ravito musical ‘Spirit of 76’ (à 77,4 milles) c’est un segment ou nous sommes vulnérables aux pensées négatives; dans mon cas je réussis à rester relativement positif et déterminé, en m'appuyant sur mon expérience de l'an passé.  Un petit bouillon et hop nous repartons au soleil couchant, avec les jambes de plus en plus démolies mais encore assez de structure pour pouvoir courir de longues parties plus plates et dépasser quelques coureurs.

Derniers 11 milles dans la nuit

Nous atteignons le très accueillant ravito de Bills (89 milles) à la frontale, dans le noir, avec la pesée finale qui confirme que tout va bien, et puis hop une petite soupe et de bonnes petites patates rissolées, miam gloups.  Mes parents et Line sont là, ils m’aident et m’encouragent, maintenant ils sentent comme moi que je vais beaucoup mieux, relativement à mon état de la mi-course.  Je leur laisse mon sac à dos et ma casquette, allez je vais finir plus léger.  Bon il ne faut pas s’attarder, Bill’s est un oasis, un piège tentant où on peut s’éterniser! 

Peu de temps après avoir quitté le ravito, la frontale de Benoit clignote pour l’avertir que les piles sont faibles, et il n’a pas de pile de rechange sur lui.  Nous convenons de courir le plus possible proches, à la lumière de ma frontale…. qui elle aussi faiblit (elle est rechargeable et j’avais oublié de la recharger, nono) !!  Bon, ce sera quand même suffisant pour continuer dans les sentiers et se rendre au bout.  Le temps et les milles semblent s’étirer maintenant, il me semble se passer une éternité jusqu’aux ravitos suivants de Keatings (92,4), Polly’s (95.9) et Sargent’s (98,1).   Minuit, 1h passent... patience Pierre, souviens-toi un 100 milles se joue tout en patience et en persévérance.  Il fait plus frais maintenant, ça c’est du positif !

Arrivée

Le dernier mille est montant et interminable.  Allez finissons-en, je me sens nettement plus fort que l’an passé pour cette finale, je dirais même énergique!  Benoit et moi donnons ce qu’il nous reste dans les jambes pour finir ensemble en courant à 1h32 du matin, main dans la main avec un gros sourire, accueilli par nos équipes et les amis présents.  

21:32:49 !  C’est dix minutes de plus que l’an passé, mais dans des conditions plus éprouvantes et ça se traduit dans les positions : l’an passé j’étais arrivé 52ième, cette année 36ième (ex æquo avec Benoit), donc je le prends comme une bonne progression.   J’apprendrai plus tard que les abandons ont été plus nombreux que l’an passé, pas surprenant avec la météo qui a multiplié les obstacles pour tous.

Line et mes parents m’accueillent bien sûr et me félicitent, un moment spécial en famille!

L'ami Denis L. arrive à peine 8 minutes après nous avec son accompagnateur, il a connu une progression remarquable depuis un an, a couru ce 100 milles de façon intelligente et en récolte les fruits.  Bravo!

Célébration

Après avoir mangé un hot dog et bu une bonne bière (une IPA 'Long Trail' ahhhhh), je me dépêche d’aller me laver dans l’étang voisin et de m’habiller en vêtements chauds, aidé par Line (merci mon amour) pour retourner à l’arrivée et féliciter les prochains finissants.  Marie-Pier (deuxième femme au 100km, wow bravooo) et Michel me prêtent des couvertures pour me tenir au chaud dans ma chaise de camping... mais je grelotte, et je n’arrive pas à rester éveillé bien longtemps -- d'ailleurs je termine mes phrases en cognant des clous!  Je vais finalement me coucher dans ma tente avec Line vers 4h30 et me lève vers 7h30 et nous allons petit-déjeuner.  Pas exactement tout le sommeil dont j’avais besoin, mais pas grave je me rattraperai plus tard ;)  Le soleil est déjà haut et chaud quand le dernier coureur finissant franchit le portail à 9h48, bien accueilli par sa troupe.

Le brunch du dimanche sous la grande tente, entre 11h et 13h, est fort plaisant: c'est le temps de renouer avec tous les amis et de se raconter nos péripéties.  

Et lors de la remise des prix, qu'apprends-je?  Larisa est arrivée première chez les dames et huitième au cumulatif, avec un époustouflant 18h38, ce qui veut dire qu'elle a été d'une constance et d'une force remarquables tout le long de sa course.  Chapeau!  Je vais la féliciter, lui rends les guêtres prêtés (et propres) et les remercie chaleureusement, elle et son copain Rob (qui accepte mon offre pour une bière :).  

À mon tour, je reçois ma 'buckle' de ceinture (donnée au finissants sous les 24 heures) de la souriante directrice Julia.  Et puis chacun doit repartir, c'est le temps des au revoir.  L'an prochain?  Peut-être, mais pas sûr: ça dépendra de mes objectifs sportifs pour 2014 et de mes choix de course.

Récupération

Dans les jours suivants, mes pieds et mes chevilles sont restées enflées et mes orteils très sensibles, mais tout s’est résorbé au bout d’une semaine de repos complet, alors que je profitais de formidables vacances sur le lac Champlain, à bord du voilier de mes amis. De belles vacances!

De retour sur terre j’ai repris graduellement les entrainements avec grand plaisir.

Épilogue

Je repense à cet accomplissement avec fierté, et avec beaucoup de reconnaissance pour tous ceux qui m’ont aidé et soutenu, d’une façon ou d’une autre. Merci à Line et à mes parents.  Je suis chanceux d’être si bien entouré, j’y pense tous les jours.   Merci à Benoit pour la compagnie, merci à tous les amis coureurs qui nous ont aidés à de nombreux ravitaillements.  Merci à tous les extraordinaires bénévoles du Vermont 100, leur générosité et leur esprit sont un exemple à suivre.

Vaincre le Vermont 100 une deuxième fois, ce n'était pas gagné d'avance.  J'ai eu de nouveaux obstacles à surmonter, de nouveaux maillons faibles à ficeler, ce qui amène à chaque fois des leçons à tirer et des solutions à intégrer.  Comme le dit Sébastien R. , un coureur apprend toujours!

Il m’a fallu pas mal de ténacité pour briser l’énorme mur de la mi-course, et cela a ajouté à ma confiance en mes capacités.  En huit ans de courses, pas encore de DNF pour moi -- mais je ne me fais pas d’idée, ça finira bien par m’arriver à force de prendre des risques.  Et dans l’endurance, repousser ses limites pour les trouver, ça fait partie de la fascinante recherche sur soi!  Mais comme le dit Michel C., ça reste un jeu, il faut garder les choses en perspective.

D’ailleurs je m’attaque à un autre monstre dans un mois et demie, qui s’appelle Virgil Crest 100… un parcours encore plus difficile en deux boucles de 50 milles, et la tentation d’arrêter au milieu… finira, finira pas?  Qui courra saura !

Leçons apprises

1. Il me faut établir, tester et respecter mon plan d’hydratation, incluant les électrolytes.  Lors de mon prochain 100 milles, je vais programmer ma montre pour me rappeler de boire et de prendre une capsule de sel à chaque 30 minutes.

2. La marche rapide en montées est un outil essentiel aux ultra marathoniens, qu’il me faut encore développer en entrainement en montagne pour gagner en efficacité.

3. Les descentes doivent généralement être courues à petites foulées pour réduire l’impact cumulé sur les jambes (avec muscles en mode freinage et en compression).  Cette année j’ai évité d’épuiser mes quadriceps, et j’en suis fort satisfait.

4.  Je dois prévenir les rougeurs sur les cuisses (et toute autre zone sujette aux frottements) avec beaucoup de vaseline, un bâton de Glide et du Zincofax au besoin, et surtout en choisissant des vêtements qui minimisent les risques de friction, comme des cuissards, par exemple.

 5. Prévenir les ampoules aux pieds et aux orteils avec la crème Nok (application dans les dix jours précédant l’épreuve), avec Glide et avec le bon choix de chaussettes – les Injinji qui séparent les orteils seront à essayer (c’est ce que Benoit portait d’ailleurs).

 6. Je vais rétablir une routine d’étirements musculaires de 5 minutes après mes entrainements de base, parce que des muscles trop tendus avant un ultra risquent plus de causer problème, comme il m’est arrivé avec ma bandelette ilio-tibiale de droite.

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Si vous aimez lire les aventures des ultra marathoniens québécois au Vermont 100 (et à leurs autres courses), alors ne manquez pas de lire aussi les excellents récits de Vincent G. , Michel C. , Pat G. , Benoit B.  (sur sa page fb) et Sébastien R. (sur sa page fb).  

Mon aventure ultra 2013 continue donc en septembre… à bientôt !

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