Dans chaque nouvelle épreuve d’endurance où on
se dépasse, on passe à travers plusieurs états d’esprit, y compris qu’on ne la
refera plus… n’est-ce pas ? En
juillet 2012, quand j’avais complété le Vermont 100 en 21h22, mon premier 100
milles, j’étais très fier à l’arrivée et je me disais aussi que de l’avoir
complété une fois, c’était bien suffisant, allez basta revenons à des défis
plus humains ! … Et puis déjà quelques heures plus tard, pendant le brunch
et la remise des prix, en fraternisant avec les amis coureurs et en remarquant
les nombreux récidivistes, eh bien les mauvaises pensées s’étaient quasiment volatilisées
et je pensais à refaire cette course l’année suivante!
Cette envie s’est confirmée dans les mois
suivants, alors je n’ai pas manqué ma chance à l’ouverture des inscriptions en
ligne, le premier décembre 2012, pour faire partie des 350 heureux élus. D’ailleurs plusieurs de mes amis coureurs
québécois se sont inscrits comme moi, nous étions une bonne quinzaine. Toutes les places étaient prises en quelques
jours. Il faut dire que cette course a
un charme particulier, avec son décor, son relief, son organisation hors pair,
ses 29 ravitaillements, son histoire incluant la course équestre côtoyant
la course humaine, et l’hospitalité toute vermontoise.
Charmant profil d'élévation, n'est-il pas?
Les 29 points bleus représentent les ravitaillements.
De octobre jusqu’à juin, j’ai gardé une solide
cadence en entrainement et un calendrier riche en événements organisés: un
marathon au Vermont en octobre (GMAA, dans mes classiques), deux marathons intérieurs
en janvier, deux demi-marathons en avril et mai, le 50 milles de Bear Mountain
en mai, et en juin un beau bouquet : le Xtrail 22km de Sutton, une super
excursion dans les montagnes blanches du New Hampshire (Pemi-Loop 51km), la
course sur route MRSQ de 50km et le super-bouetteux UltimateXC 58km. Que du plaisir , et pas de bobo,
toujours aussi chanceux! Tout cela m’a
donné de la confiance et la progression souhaitée pour culminer avec cette
épreuve maîtresse, en plein cœur de l’été.
J’ai aussi investi dans les services d’un
entraineur à partir de novembre, l’excellent Dorys Langlois, qui m’a ouvert de bons développements en quelques
mois. Avec des entrainements de groupe
structurés les mardis et vendredis et un plan d’entrainement personnalisé, j’ai
assimilé plusieurs concepts de base, corrigé de petits défauts de posture,
profité de l’effet inspirant d’excellents coureurs. J’ai aussi établi ma VMA (vitesse maximale
aérobie, étalon pour se fixer des objectifs réalistes à chaque distance) et
développé ma vitesse en séances d’intervalles très bien structurées, ce qui m’a
entre autres ouvert de nouveaux niveaux de performance, comme un record
personnel au demi-marathon des érables (fin avril), en 1h27.
La préparation
Deux semaines avant la course je me suis
procuré de nouvelles chaussures de course tout terrain: les Saucony Peregrine 3. À l’essai je les ai tout de suite adorées,
alors j’ai décidé que je les porterais le plus longtemps possible pendant le
Vermont 100.
Une des leçons apprises au Vermont 100 de l’an
passé, c’est de me procurer des guêtres
légères pour réduire la poussière qui s’infiltre dans les pieds, et pour
réduire les risques de débris qui peuvent s’insérer dans les chaussures et
causer des frottements et autres désagréments.
Après un peu de magasinage, ce sont clairement les ‘Dirty Girls’ qui
seraient le modèle de prédilection, mais je m’y suis pris trop tard pour en
commander sur l’internet et on ne les trouve pas en magasin au Canada. En m’informant sur la page facebook de la
course, une gentille coureuse du New Hampshire m’a gracieusement offert de me
prêter une paire de ‘Dirty Girls’.
Chouette, merci Larisa ! Et
vous allez voir que Larisa est une redoutable ultra marathonienne, je vous en
reparle tantôt.
Dans les jours précédant le départ, je me
prépare un gâteau aux dattes hmmm; celui-ci
me fait du bien mentalement autant que physiquement. C’est pour moi un élément rassurant (et
délicieux, merci maman pour ta recette) qui aide à me sentir en contrôle de ma
préparation et fait descendre le stress.
Pour la préparation mentale, j’ai visualisé
plusieurs fois ce loooong défi côteux, dont le parcours m’était resté encore
assez frais de mon expérience 2012. Je
savais aussi que j’avais oublié bien de choses, et qu’il me fallait aborder l’épreuve
avec beaucoup de respect et d’humilité.
Enfin, je compose mon équipe de soutien avec
mon épouse Line et mes parents Nicole et Guy -- qui étaient tous trois de la
partie l’an passé aussi. Ils seront aux
mêmes ravitaillements que l’an passé, soit aux milles 30, 48, 70 et 89. Pourquoi changer un bon plan, avec de si bons
alliés ? Par contre, je choisis de
ne pas demander de coureur d’accompagnement, en me disant que je courrai
plusieurs segments avec d’autres coureurs, et d’autres solo -- y compris les
derniers milles s’il le faut. Ça laisse
une place au hasard, et ça me va très bien.
Le jour
‘V moins 1’
Départ de la maison le vendredi vers 10h30, le
poste douanier de Philipsburg est déjà pas mal occupé à 11h30, avec les
vacances de la construction qui commencent.
Line et moi arrivons au site le vendredi vers
15h30, juste à temps pour la collecte du dossard, et la prise de mon poids
référence, et pour ne pas manquer la réunion des coureurs de 16h. Je retrouve ici la formidable équipe d’organisateurs
et bénévoles de cette course, je les trouve tous dévoués et épatants : la
directrice Julia, son frère enjoué, costaud et d’une énergie sans borne,
l’équipe médicale expérimentée, et les autres sympathiques responsables. Leur passion est contagieuse !
Retrouvaille des copains sous la grande tente, l'ambiance est pétillante: Benoit B. et
Martin C., Pat G., Denis L., Patrick B., Daniel G., Vincent G., Vincent F.,
Vincent Machin-Truc, Louis A., Patrick H., Louis A., Michel C., Marie-Pier, et
de nombreux autres coureurs et accompagnateurs enjoués et passionnants avec qui
j’ai fait connaissance pendant la fin de semaine, comme Sébastien, Gary et
Kate.
Pendant la réunion des coureurs, nous sommes
bien avertis de la chaleur et de l’humidité avec lesquels nous devrons
composer. C’est définitivement la
difficulté supplémentaire, qui m’a déjà fait réviser mes objectifs :
d’abord terminer sans bobo, pas épuisé (le plus important), et ensuite essayer d'égaler ou améliorer un petit peu mon temps de l’an
passé de 21h22 (et non pas retrancher 1 heure ou plus, comme je visais initialement).
Line me donne un beau coup de main avec le
montage de la tente où je dormirai quelques heures la nuit prochaine, juste en
haut du terrain des départs et arrivées.
Soirée calme près des tentes, avec Michel C. et Pat G., agrémentée d’un spectacle céleste assez spécial : ciel dégagé à la brunante, avec un beau
gros nuage à l’horizon, chargé et multipliant les éclairs de chaleur. À 10h je me couche et cherche le sommeil … pour
ne le trouver que durant une heure, entre minuit 30 et 1h30 ! Il faut dire
que nous avons droit à un fameux spectacle sons et lumières dans nos tentes
entre 11h et minuit, avec l’orage qui s’est amené vers nous. Drôle de party! Mais bon rien de paniquant, ça me donne mon
habituelle nuit courte, avec l’adrénaline pré-course présente malgré moi.
Je me lève vers 2h30, m’habille pour la course
et mange un morceau de gâteau aux dattes et un muffin aux bananes (gracieuseté
de ma fille Alice).
Le
départ et le premier tiers
Rendez-vous pré-départ sous la grande tente
vers 3h00, avec café et bagels. Bon
choix musical en sourdine, et beaucoup de papillons dans le ventre parmi les amis
présents. Mais je n'ai jamais réussi à rencontrer Larisa pour le prêt des guêtres... je ferai sans. À 3h45 chic! je retrouve Larisa
et son copain Rob, et Rob est assez gentil pour aller me chercher les guêtres
‘Dirty Girls’ et m’aider à les poser à mes souliers, dix minutes avant le
départ (!). Quelle classe ces guêtres, avec motif de têtes de mort, héhé. Je les remercie, m’approche
du départ et peut voir la fin des feux d’artifice offerts aux participants en
l’honneur du 25ième anniversaire de la course.
Le départ est donné à 4h avec un peu d’excitation bien sûr,
et je pars solo, faisant quelques connaissances dans les premiers deux
kilomètres et retrouvant par chance Larisa dans un partie en sentiers, ce qui
me permet de faire un peu plus connaissance.
Nous avions tous deux terminé l’an passé, et elle était arrivée 29
minutes devant moi.
Les 10 kilomètres suivants, je les cours avec
Benoit et Martin et ils se déroulent fort agréablement, à un bon rythme
(5:30/km je dirais). Au deuxième
ravitaillement, je mange un peu, fais un petit pipi et puis repars sans
attendre mes deux compères encore occupés, et croyant vraiment qu’ils me
rejoindront rapidement.
Je garde ensuite mon allure relativement
rapide, ce qui est fort téméraire dans une course de ce type. Les risques de ‘payer pour’ plus loin, d’une
façon ou d’un autre, augmentent… allez, on verra. Je
côtoie plusieurs forts coureurs et coureuses (dont Larisa) en me demandant si
je suis là où je devrais être.
Quand j’arrive au ravitaillement de Stage Road
à 9h01, je suis en dix-neuvième place.
J’ai parcouru 30 milles (50km) en 5 heures, incluant déjà beaucoup de
dénivelés, c'est 20 minutes de moins que l'an passé et je sais très bien que je ne pourrai soutenir ce rythme infernal
beaucoup plus longtemps, mais je ne me doute pas de ce qui sera la
conséquence dans les milles à venir.
À chaque ravitaillement, je remplis ma
bouteille d’eau en la garnissant de plusieurs glaçons (disponibles aussi bien
dans les ravitos avec bénévoles que ceux sans aide). Je bois typiquement la moitié et j’utilise
l’autre moitié pour me rafraîchir la tête, en me douchant par la
casquette. Et puis je bois aussi du
Gatorade de ma gourde sac à dos. Je
mange les fruits offerts, surtout les oranges et melons. Je crois donc m’hydrater suffisamment. Et pourtant…
Je repars dans les sentiers très boueux et en
montée ; maintenant mes pieds vont rester beaucoup plus mouillés, ce qui
est propice aux ampoules...
La muraille
de Chine
À partir du ravito de 38 milles, je faiblis de
façon très nette. Je ressens une grosse
perte d’énergie, je marche beaucoup, j’ai même des étourdissements et je me
fais dépasser par plusieurs coureurs.
Pendant les 10 milles suivants, je vais devoir traverser le plus grand
mur en situation de course de toute mon expérience en endurance.
Je m’accroche à certaines pensées positives,
mais j’essaie aussi de comprendre ce qui m’arrive, sans pouvoir mettre le doigt
dessus. Je pense plusieurs fois que je
vais devoir abandonner avant la mi-course, je ne vois vraiment pas ce qui
m’arrive, comment corriger le tir et comment parcourir la deuxième moitié de la
course dans de telles conditions.
D’autre part, le soleil est bien haut dans le ciel, la chaleur culmine
avec le fort taux d’humidité et je sue beaucoup. Je crois boire suffisamment, mais je saurai
bientôt que ce n’étais pas suffisant… et que j’ai négligé les électrolytes.
Arrivée à Camp Ten Bear et pesée: là je ne souris plus du tout...
En arrivant enfin au grand ravitaillement de
Camp Ten Bear à 47,6 milles, je salue rapidement mon équipe et me dirige
immédiatement à la pesée obligatoire : horreur et stupéfaction, je suis à
161 livres (73 kg), soit 5% de perte de masse corporelle depuis ma pesée de
référence de la veille à 169 livres (76,6 kg) !!! Voilà donc l’explication à mes malaises des 10
milles précédents. J’ai poussé trop
fort, et avec la chaleur montante j’ai perdu beaucoup, beaucoup d’eau et de minéraux sans
réaliser à quel point. Quasiment une
erreur de débutant.
Le directeur médical me fait asseoir et me
pose quelques questions pour sonder mon état physique et mental, et pour me
donner les bons conseils : un peu de repos assis avec hydratation,
électrolytes, alimentation, et je pourrai repartir après 15 minutes.
L'équipe médicale m'aide à retrouver le sourire!
Line et mes parents me parlent et s’inquiètent
pour moi. Ils ne savent s’ils doivent
m’encourager à repartir et surmonter mes difficultés, ou bien me conseiller d'arrêter... Moi je décide de faire confiance au directeur médical. Il a beaucoup d'expérience, il en a vu d'autres et il sait que mon problème est passager. Il a senti que je trouverais de nouvelles ressources.
Vincent Machin-Truc, qui est un excellent
coureur et est présent en soutien à d’autres coureurs québécois, me parle de sa
recette pour les électrolytes : une pastille de sel (Salties, ou S!Caps)
par demi-heure avec de l’eau, dicté par la sonnerie de sa montre pour rester
discipliné. Je ne programme pas ma
montre, mais je vais m’en inspirer pour le reste de ma course, en faisant bonne
provision des S!Caps fournies aux ravitos.
Rémission
Je me relève; allez Pierre il ne faut pas rater la chance de
courir avec mes amis Benoit, Martin, et Louis qui m’ont maintenant rejoint et
sont prêts à repartir. Mon équipe me
souhaite bonne chance, en se demandant s’ils font bien de me laisser
repartir!
Dans le mille suivant, les fortes côtes
reviennent vite et je ne peux même pas suivre la cadence de marche rapide de
Benoit et Martin. Je m’accroche à Louis
-- un ultra marathonien épatant et excellent motivateur. Mais quelques milles plus loin, encore une
fois je dois laisser filer Louis devant moi parce que sa cadence de marche
rapide dépasse la mienne, encore anémique.
C’est dans les milles suivants que je me
ressaisis, doucement mais sûrement. Je rattrape
d’abord Louis (que je n’avais pas perdu de vue devant moi), nous faisons
plusieurs milles ensemble pour éventuellement rattraper Benoit et Martin.
Je continue à me rafraîchir régulièrement la tête avec de l'eau glacée de ma bouteille sur ma casquette, une recette qui me réussit bien avec la chaleur et l'humidité ambiantes.
Je suis ravi d’arriver au ravitaillement de
Seven Sees (59,1 milles) et d’y retrouver plusieurs des amis coureurs québécois
qui attendent leurs coureurs. Ils nous
aident beaucoup aussi par leur enthousiasme! Un merci particulier à
Patrick B., si généreux et positif.
J'ai trouvé mon second souffle, mon moral est vraiment meilleur, et en bonne compagnie c'est encore bien mieux.
Nous poursuivons notre route dans les côtes,
et atteignons l'incontournable et festif ravito de Margaritaville (62,1) où Martin C. se fait soigner les jambes et
les pieds, et où Louis C. essaie d’apaiser de fortes irritations aux cuisses
avec du Zincofax, résultant du frottement de ses shorts mouillés. En plus, nous avons droit à un épisode de
pluie. Moi je me sens de mieux en
mieux, je mange et je bois bien... et avec l’insistance de la gentille dame
bénévole, je me laisse même tenter par un petit verre de margarita -- mixé en
bouteille, et oui oui alcoolisé! La bonne humeur m'envahit :))
En quittant le ravitaillement, Louis nous dit
de ne pas l’attendre, vu ses fortes rougeurs et les probabilités qu’il doive
abandonner sa course dans les dix prochains milles.
Quelques milles plus loin, la malchance frappe
Martin : il est atteint d’un gros hoquet incontrôlable, et Benoit (qui
prévoyait courir le plus longtemps possible avec Martin) s’entend avec lui pour
le laisser continuer son chemin en lui souhaitant bonne chance. À partir de là, Benoît et moi devenons
compagnons de route.
Après le ravito Brown School House (65,5
milles) où je continue à enfourner les fruits, et où Benoit se laisse tenter
par un peu de fudge au chocolat, nous attaquons la longue descente qui nous
fait regagner vitesse et momentum jusqu’à Camp Ten Bear (deuxième
passage, à 70,5 milles).
Ampoules
Dans les derniers milles avant de rallier Camp
Ten Bear pour la deuxième fois, j’avais senti une drôle d’impression au
deuxième orteil de mon pied droit, comme si l’ongle était prêt à se
détacher. Après la pesée obligatoire,
qui me confirme que tout va bien avec un regain de poids de 2 livres (1kg),
j’enlève mes souliers et mes chaussettes pour voir comment mes chers pieds
tiennent le coup, et quoi faire pour qu'ils durent 30 milles de plus.
Dans l’ensemble ils vont bien, mais
surprise : j’ai quelques ampoules aux orteils, chose qui ne m’était jamais
arrivé encore. Et là où j’avais une
sensation plus notable, c’est une grosse ampoule qui demande une attention
immédiate. À la tente des médics (qui
nous avaient bien dit de faire appel à leurs services professionnels pour le
traitement des ampoules) on me soigne de la meilleure façon en perçant celle-ci
avec aiguille stérilisée, en la vidant et en la soignant avec un onguent
antibiotique rouge foncé, sur lequel on me rechausse directement avec de
nouvelles chaussettes propres et sèches -- et sans pansement, ce
qui me surprend mais on me rassure, c’est la bonne façon de faire. Changement de chaussures et de shorts aussi
(avec cuissards intégrés), une bonne idée de Line pour éviter les irritations et de nouvelles ampoules.
Ce traitement demande donc quelques minutes
pendant lesquelles Benoit a la gentillesse de m’attendre pour que nous
repartions ensemble. Et malheureusement, Louis et Martin ne nous ont pas rejoints.
Nouveau
souffle
Avec Benoit, c’est un vrai charme de
courir. C’est un grand coureur dans tous
les sens du terme. Il inspire, il est
drôle et gentil, il rend la course plus facile.
Pour la longue distance, nous avons de bonnes affinités de cadence (et pour les
distances plus courtes, il est bien plus fort que moi!).
Ma bandelette ilio-tibiale droite me fait de plus en plus
mal, particulièrement dans les descentes, mais la douleur est supportable et je trouve
un moyen de descendre de biais pour m’aider un peu. Étant donné le chemin parcouru, je suis relativement
content de mon état, et j’ai pleinement repris confiance dans ma capacité de
finir cette course assez fort, même plus fort que l’an passé. Je crois que ça se voit dans mon visage, Line
et mes parents le sentent et en sont rassurés.
Il y a encore plusieurs reliefs à traverser,
et jusqu’au ravito musical ‘Spirit of 76’ (à 77,4 milles) c’est un segment ou
nous sommes vulnérables aux pensées négatives; dans mon cas je réussis à
rester relativement positif et déterminé, en m'appuyant sur mon expérience de l'an passé.
Un petit bouillon et hop nous repartons au soleil couchant, avec les
jambes de plus en plus démolies mais encore assez de structure pour pouvoir
courir de longues parties plus plates et dépasser quelques coureurs.
Derniers
11 milles dans la nuit
Nous atteignons le très accueillant ravito de
Bills (89 milles) à la frontale, dans le noir, avec la pesée finale qui confirme que tout va bien, et puis hop une petite soupe et de bonnes petites patates rissolées, miam gloups. Mes parents et Line sont là, ils m’aident et
m’encouragent, maintenant ils sentent comme moi que je vais beaucoup mieux, relativement à mon état de la mi-course. Je leur laisse mon sac à dos et ma
casquette, allez je vais finir plus léger.
Bon il ne faut pas s’attarder, Bill’s est un oasis, un piège
tentant où on peut s’éterniser!
Peu de temps après avoir quitté le ravito, la
frontale de Benoit clignote pour l’avertir que les piles sont faibles, et il
n’a pas de pile de rechange sur lui.
Nous convenons de courir le plus possible proches, à la lumière de ma
frontale…. qui elle aussi faiblit (elle est rechargeable et j’avais oublié de
la recharger, nono) !! Bon, ce sera
quand même suffisant pour continuer dans les sentiers et se rendre au bout. Le temps et les milles semblent s’étirer
maintenant, il me semble se passer une éternité jusqu’aux ravitos suivants de
Keatings (92,4), Polly’s (95.9) et Sargent’s (98,1). Minuit, 1h passent... patience Pierre, souviens-toi un 100 milles
se joue tout en patience et en persévérance. Il fait plus frais maintenant, ça c’est du positif !
Arrivée
Le dernier mille est montant et
interminable. Allez finissons-en, je me sens nettement plus fort
que l’an passé pour cette finale, je dirais même énergique! Benoit
et moi donnons ce qu’il nous reste dans les jambes pour finir ensemble en courant à 1h32 du matin, main dans la
main avec un gros sourire, accueilli par nos équipes et les amis présents.
21:32:49 ! C’est dix minutes de plus que l’an passé,
mais dans des conditions plus éprouvantes et ça se traduit dans les
positions : l’an passé j’étais arrivé 52ième, cette année 36ième (ex æquo avec Benoit), donc je le prends comme une bonne progression. J’apprendrai
plus tard que les abandons ont été plus nombreux que l’an passé, pas surprenant
avec la météo qui a multiplié les obstacles pour tous.
Line et mes parents m’accueillent bien sûr et me félicitent, un moment spécial en famille!
L'ami Denis L. arrive à peine 8 minutes après nous avec son accompagnateur, il a connu une progression remarquable depuis un an, a couru ce 100 milles de façon intelligente et en récolte les fruits. Bravo!
Célébration
Après avoir mangé un hot dog et bu une bonne
bière (une IPA 'Long Trail' ahhhhh), je me dépêche d’aller me laver dans l’étang voisin et
de m’habiller en vêtements chauds, aidé par Line (merci mon amour) pour
retourner à l’arrivée et féliciter les prochains finissants. Marie-Pier (deuxième femme au 100km, wow bravooo) et Michel me prêtent des couvertures pour me tenir au chaud dans ma chaise de camping... mais je grelotte, et je n’arrive
pas à rester éveillé bien longtemps -- d'ailleurs je termine mes phrases en cognant des clous! Je
vais finalement me coucher dans ma tente avec Line vers 4h30 et me lève vers 7h30 et nous allons petit-déjeuner. Pas exactement tout le sommeil dont j’avais
besoin, mais pas grave je me rattraperai plus tard ;) Le soleil est déjà haut et chaud quand le dernier coureur finissant franchit le
portail à 9h48, bien accueilli par sa troupe.
Le brunch du dimanche sous la grande tente, entre 11h et 13h, est
fort plaisant: c'est le temps de renouer avec tous les amis et de se raconter nos péripéties.
Et lors de la remise des prix, qu'apprends-je? Larisa est arrivée première chez les dames et huitième au cumulatif, avec un époustouflant 18h38, ce qui veut dire qu'elle a été d'une constance et d'une force remarquables tout le long de sa course. Chapeau! Je vais la féliciter, lui rends les guêtres prêtés (et propres) et les remercie chaleureusement, elle et son copain Rob (qui accepte mon offre pour une bière :).
À mon tour, je reçois ma 'buckle' de ceinture (donnée au finissants sous les 24 heures) de la souriante directrice Julia. Et puis chacun doit repartir, c'est le temps des au revoir. L'an prochain? Peut-être, mais pas sûr: ça dépendra de mes objectifs sportifs pour 2014 et de mes choix de course.
Récupération
Dans les jours suivants, mes pieds et mes
chevilles sont restées enflées et mes orteils très sensibles, mais tout s’est
résorbé au bout d’une semaine de repos complet, alors que je profitais de
formidables vacances sur le lac Champlain, à bord du voilier de mes amis. De belles vacances!
De retour sur terre j’ai repris graduellement
les entrainements avec grand plaisir.
Épilogue
Je repense à cet accomplissement
avec fierté, et avec beaucoup de reconnaissance pour tous ceux qui
m’ont aidé et soutenu, d’une façon ou d’une autre. Merci à Line et à mes parents. Je suis chanceux d’être si
bien entouré, j’y pense tous les jours. Merci à Benoit pour la compagnie, merci à tous les amis coureurs qui nous ont aidés à de nombreux ravitaillements. Merci à tous les extraordinaires bénévoles du Vermont 100, leur générosité et leur esprit sont un exemple à suivre.
Vaincre le Vermont 100 une deuxième fois, ce n'était pas gagné d'avance. J'ai eu de nouveaux obstacles à surmonter, de nouveaux maillons faibles à ficeler, ce qui amène à chaque fois des leçons à tirer et des solutions à intégrer. Comme le dit Sébastien R. , un coureur apprend toujours!
Il m’a fallu pas mal de ténacité pour briser
l’énorme mur de la mi-course, et cela a ajouté à ma confiance en mes
capacités. En huit ans de courses, pas encore de DNF pour moi -- mais je ne me fais pas d’idée, ça finira bien par m’arriver à force de prendre
des risques. Et dans l’endurance, repousser ses limites
pour les trouver, ça fait partie de la fascinante recherche sur soi! Mais comme le dit Michel C., ça reste un jeu, il faut garder les choses en perspective.
D’ailleurs je m’attaque à un autre monstre
dans un mois et demie, qui s’appelle Virgil Crest 100… un parcours encore plus
difficile en deux boucles de 50 milles, et la tentation d’arrêter au milieu… finira, finira pas? Qui courra saura !
Leçons
apprises
1. Il me faut établir, tester et
respecter mon plan d’hydratation,
incluant les électrolytes. Lors de mon
prochain 100 milles, je vais programmer ma montre pour me rappeler de boire et de prendre une capsule de sel à chaque 30 minutes.
2. La marche rapide en montées est un outil
essentiel aux ultra marathoniens, qu’il me faut encore développer en entrainement en
montagne pour gagner en efficacité.
3. Les descentes doivent généralement
être courues à petites foulées pour réduire l’impact cumulé sur les jambes
(avec muscles en mode freinage et en compression). Cette année j’ai évité d’épuiser mes
quadriceps, et j’en suis fort satisfait.
4. Je dois prévenir les rougeurs sur
les cuisses (et toute autre zone sujette aux frottements) avec beaucoup de
vaseline, un bâton de Glide et du Zincofax au besoin, et surtout en choisissant des
vêtements qui minimisent les risques de friction, comme des cuissards, par
exemple.
5. Prévenir les ampoules aux pieds et
aux orteils avec la crème Nok (application dans les dix jours précédant
l’épreuve), avec Glide et avec le bon choix de chaussettes – les Injinji qui
séparent les orteils seront à essayer (c’est ce que Benoit portait d’ailleurs).
6. Je vais rétablir une routine
d’étirements musculaires de 5 minutes après mes entrainements de base, parce que des muscles
trop tendus avant un ultra risquent plus de causer problème, comme il m’est
arrivé avec ma bandelette ilio-tibiale de droite.
Si vous aimez lire les aventures des ultra marathoniens québécois au Vermont 100 (et à leurs autres courses), alors ne manquez pas de lire aussi les excellents récits de Vincent G. , Michel C. , Pat G. , Benoit B. (sur sa page fb) et Sébastien R. (sur sa page fb).
Mon aventure ultra 2013 continue donc en septembre… à
bientôt !
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